Damien Gabriel

Aspects physiopathologiques de la mémoire


Dans le cadre du vieillissement individuel, mais également lors du développement de maladies neurodégénératives ou en cas de lésions cérébrales, un déclin de certaines performances cognitives peut s’observer. La mémoire serait la composante la plus vulnérable et des atteintes peuvent empêcher le cerveau de stocker, mais aussi filtrer, à tout instant, les pensées qui se rapportent au présent et revêtent une importance dans le contexte des faits actuels.

Comprendre les mécanismes de la mémoire est indispensable afin de mieux pouvoir comprendre l’origine de ses troubles. Un exemple connu de troubles est l'amnésie, qui consiste en une incapacité à stocker suffisamment d'informations récentes, et à pouvoir les rappeler à partir de la mémoire. L'amnésie isolée est due à une lésion de l'hippocampe ou de ses connexions. Les patients souffrant d'amnésie grave sont généralement conscients de leurs troubles de la mémoire, et en souffrent. Par contre, certains patients, souffrant également d'amnésie, ne sont apparemment pas conscients de leurs troubles de la mémoire. Ils relatent des activités et événements quotidiens, certes inventés, tout en étant convaincus de leur véracité. Convaincus, parfois, au point d'agir en fonction de ces événements inventés. Bien que ces histoires, définies sous le nom de confabulations spontanées, semblent au premier coup d'œil issues de l'imagination des patients, il s'avère, à l'examen plus détaillé, qu'elles se composent de fragments de souvenirs et d'événements réels. Ces traces mnésiques, issues d'événements ayant réellement eu lieu, même plusieurs années auparavant, semblent aux yeux du patient appartenir au présent. Les patients ne distinguent plus la réalité effective des souvenirs d'événements antérieurs.

En plus de mes propres recherches sur les mécanismes d’ancrage de la parole mémoire (Gabriel et al., 2012), j’ai participé avec des psychiatres et neurologues aux recherches du laboratoire de neurorééducation fonctionnelle de Genève à l’étude des mécanismes liés aux confabulations et à l’amnésie. Lors de l’encadrement de deux étudiants en thèse, j’ai étudié comment l’administration de dopamine à des sujets pouvait induire une confusion de réalité (Schnider et al., 2010). En tant que responsable des recherches en EEG haute-résolution, j’ai mis au point une série d’expériences visant à explorer le rôle du cortex orbitofrontal dans les mécanismes de vérification d’une information réellement stockée en mémoire par rapport à une confabulation (Nahum et al., 2011 ; Wahlen et al., J’ai également recherché le rôle du lobe temporal médian dans la consolidation de l’information en mémoire chez des patients amnésiques par EEG de surface (Barcellona-Lehmann et al., 2010) et des enregistrements réalisés avec des électrodes implantées en intra-cérébral chez des patients épileptiques (Nahum et al., 2011b, voir figure). Enfin, dans le cadre d’une étude sur l’amnésie antérograde associant EEG haute-résolution et DTI, j’ai participé à la réalisation des examens de patients souffrant d’un syndrome de Wernicke-Korsakoff (Nahum et al., 2014).

Les résultats obtenus sont d’importance dans l’étude du fonctionnement de la mémoire et de ses troubles. Ils montrent en premier lieu que les confabulations spontanées reposent sur un mécanisme jusqu'ici inconnu: l’incapacité à inhiber en temps voulu les traces mnésiques activées. L'incapacité à rappeler normalement des informations à partir de la mémoire – à la base du type le plus fréquent d'amnésie – peut être exceptionnellement due à l'activation d'un excès de traces mnésiques, et non à un déficit de stockage des informations. Enfin, ces résultats laissent supposer que le système limbique antérieur représente un mécanisme de contrôle de la pensée et des actions humaines, qui inhibe de manière permanente les associations d'idées ne revêtant aucun rapport avec la réalité actuelle. Ce mécanisme nous permet, malgré les associations libres, de distinguer constamment les traces mnésiques qui se rapportent au présent, et d'adapter nos actions à cette réalité.
Une meilleure compréhension des mécanismes neurophysiologiques de la mémoire permet aux neurologues d’envisager un meilleur diagnostic de ses troubles dans les populations pathologiques. Par ailleurs, des thérapies ciblées, qu’elles soient comportementales ou médicamenteuses, visant les zones cérébrales atteintes pourront améliorer la prise en charge de ces patients.